jeudi18mars

La crise des Subprimes de 2007-2008 a mis en lumière les défaillances des agences de notation à apprécier efficacement le risque de défaut sur certains titres, tout en montrant leur influence sur les marchés des capitaux. Par conséquent, les agences Moody's, Fitch et S&P, qui dominent le marché depuis 100 ans, sont au centre de plusieurs critiques émises par les économistes, investisseurs, mais aussi les régulateurs.

    Un marché dominé par les mêmes acteurs depuis 100 ans

    Les premiers ratings firent leur apparition en 1909 quand l'agence John Moody's and Company, du nom de son créateur, mit en place un système de notation financière pour apprécier la solvabilité des titres de chemin de fer. John Moody avait compris à ce moment-là que les investisseurs avaient de plus en plus de difficulté à différencier les titres, notamment après la crise de 1907 pendant laquelle de nombreuses entreprises ont fait faillite. C'est alors une innovation majeure qui s'inscrit dans le dynamisme du marché américain de l'époque où émetteurs et investisseurs sont de plus en plus nombreux. Pendant quelques années l'agence de Moody surfe seule sur la vague des notations. Mais elle est rejointe en 1916, par l'agence Poor's Publishing. Deux autres concurrents font leur entrée sur le marché en 1922 et 1924, il s'agit respectivement de Standard Statistics et Fitch.

    Depuis près de 100 ans, ces 4 agences, trois depuis 1941 après la fusion de Poor's et Standard's Statistics, dominent le marché. Aucune firme ne parvient à percer dans l'industrie de la notation jusqu'en 1970. A partir de là, de petites agences se font de plus en plus connaître mais elles sont rachetées pour la plupart par une des plus grandes dans les années 1990 et 2000, si bien qu'aujourd'hui les trois grandes agences représentent près de 94% du marché de la notation.

    Pendant plus d'un demi-siècle, les agences se rémunéraient grâce à la vente de leurs publications et dans une moindre mesure la vente de services (renseignements sur les entreprises notées, conseil d'achat et de vente de titres...). La crise des années 1930 entraîne une diminution des ventes de publication. A partir de 1940, les manuels qui sont vendus sont surtout consacrés aux collectivités et entreprises locales américaines. Les barrières à la mobilité des capitaux réduisent en effet les émissions des Etats, entreprises et collectivités étrangers.

    Le début des années 1970 constitue un tournant majeur dans le mode de rémunération des agences. En effet, de plus en plus d'investisseurs réussissent à se procurer les manuels des agences sans les avoir préalablement achetés (notamment avec l'essor de la photocopieuse). Les ventes de publication diminuent ainsi fortement et elles ne permettent plus aux agences de se rémunérer suffisamment. Parallèlement, suite au défaut de paiement de la compagnie de chemins de fer Penn Central en 1970, un nombre croissant d'émetteurs ont sollicité directement les agences afin d'obtenir un rating, visant en fait à rassurer le marché. A partir de là, les agences vont facturer leur prestation aux émetteurs. C'est le principe de " l'émetteur-payeur ".

    Dès lors, les profits des trois principales agences augmentent très vite. Cette hausse des bénéfices repose sur trois facteurs principaux. Premièrement, l'essor des valeurs technologiques américaines crée un boom sur le marché obligataire, ce qui profite donc aux agences. Une seconde cause est l'augmentation du nombre de collectivités locales et Etats notés. Enfin, le marché des produits dérivés s'est développé de manière tellement conséquente que la notation de ces produits représente près de 50% de l'activité des agences en 2007.

    Aujourd'hui les agences évaluent deux entités : d'une part les entités publiques comprenant les Etats et collectivités locales et d'autres parts les entités privées avec les entreprises, les établissements de crédit et les produits structurés.


    Les différents concepts intervenant dans la notation


    Les agences ont fait évoluer la définition de leur rating depuis la création de la notation. Les premiers ratings des années 1910 évaluaient la liquidité et la sécurité des obligations. Au fil des années de l'entre-deux-guerres, la référence à la liquidité des titres s'est progressivement estompée et la notion de solvabilité s'est imposée. La solvabilité correspond à une probabilité de défaut de paiement. La définition de défaut reste floue, il peut s'agir de l'absence ou retard de paiement des intérêts ou principal d'une dette ou la modification des termes du contrat (augmentation de la maturité, baisse de la valeur...). Depuis plus de trente ans, le rating intègre théoriquement en plus de la probabilité de défaut qui est le risque de ne pas respecter ses obligations, le risque de recouvrement, c'est-à-dire l'anticipation de la perte financière subie par les investisseurs en cas de défaut. Dans la pratique, il était difficile d'évaluer ce second point vu qu'il s'agit d'un contexte " ex-ante ". C'est pourquoi ces pertes étaient souvent notées qu'en cas de défaut de paiement. Cependant depuis le milieu des années 2000 les agences prennent de plus en plus en compte ce risque de recouvrement. Ainsi aujourd'hui les agences attribuent trois types de notes à une même entité : la note d'émetteur qui évalue la qualité globale d'un émetteur de dette, la note d'émission qui est spécifique à chaque obligation et la note de recouvrement qui renvoie à l'anticipation de la perte financière subie lors d'un défaut de paiement.

    Les notes suivent une échelle de notation. Elles ont vu le jour dès le début des agences. Elles regroupent différentes notes qui permettent d'évaluer les titres émis. Au fil des ans elles ont été modifiées et affinées pour permettre une meilleure lecture.
    Elles sont regroupées en deux catégories : investment grade et speculative grade. Il s'agit de la différentiation entre titres fiables et titres spéculatifs. Les émetteurs font en sorte que leurs titres restent ou atteignent la catégorie investment. Les titres en speculative grade sont synonymes de risque et donc reviennent beaucoup plus chères aux émetteurs.

    Les échelles de notation de Fitch et Standrds&Poor comprennent toutes deux 23 notes qui ont la même signification. Dans la catégorie investment grade, on retrouve les notes qui s'étalent entre AAA et BBB-, selon l'échelle suivante : AAA/AA+/AA/AA-/A+/A/A-/BBB+/BBB/BBB-. Les notes inférieures se situent dans la catégorie speculative, ce sont : BB+/BB/BB-/B+/B/B-. Ces deux agences ont également dans leur échelle une catégorie supplémentaire : le défaut de paiement. Elle comprend les deux dernières notes : RD/D pour Fitch et SD/D pour S&P.
    Moody's a une échelle de notation de 21 notes. La catégorie investment grade comprend les notes Aaa/Aa1/Aa2/Aa3/A1/A2/A3/Baa1/Baa2/Baa3. Les autres notes appartiennent à la catégorie speculative grade, Ba1/Ba2/Ba3/B1/B2/B3/Caa1/Caa2/Caa3/Ca et C. Il n'y a pas chez Mood'y une catégorie spécifique au défaut de paiement, même si la note C, comprise dans la catégorie speculative grade, représente les titres en défaut de paiement.

    En plus de la notation les agences évaluent des points supplémentaires permettant une meilleure connaissance des titres et émetteurs. La perspective de notation (outlook) permet de donner une estimation de l'évolution des ratings sur deux ans. Cette estimation se caractérise par une flèche ascendante ou descendante si l'agence pense que la note va s'améliorer ou se détériorer. L'absence de flèche montre qu'il n'y a pas d'évolution envisagée.
    La mise sous surveillance sert à signaler la forte probabilité de changement de note (positivement ou négativement) à court terme. Contrairement aux perspectives de notation, les mises sous surveillance sont temporaires. Elles durent généralement moins de quatre mois.
    Pour encore plus de précision, les agences retranscrivent leur note sur une échelle nationale permettant aux investisseurs de comparer des émetteurs d'un même pays. Les échelles globales sont parfois trop larges pour différencier la solvabilité au sein d'un même territoire. Ces échelles sont intrinsèques à chaque pays et ne sont donc pas comparables entre elles.


    Une efficacité et un pouvoir en question

    Depuis les années 1980, les notations sont globalement fiables. Les notes d'Etat le sont même généralement un peu plus que les notes d'entreprise. L'efficacité de la notation peut être mesurée en comptabilisant le nombre de défaut de paiement en fonction des notes accordées. Les notations sont fiables si pour une notation élevée le nombre de défauts de paiement est nul ou bas et si le nombre de défauts augmente en même temps que les notes se dégradent. Les investisseurs peuvent ainsi se faire une idée du risque de défaut associé à chaque note. Par exemple entre les années 1982 et 1983, 15% des entreprises notées par Moody's avaient une note entre B1 et C. Ces mêmes entreprises représentaient 84% des entreprises en défaut de paiement. Les 16% des défauts de paiement restant sont dues aux 75% d'entreprises notées entre Ba3 et Aaa.
    Globalement, depuis les années 1980, la qualité des notations de Fitch, Moody's et S&P s'est révélée satisfaisante, à l'exception des ratings des produits structurées. Ces échecs ont terni la réputation des agences, et des interrogations sur leur manque d'efficacité liée du fait des conflits d'intérêt et de la compétition entre agence sont apparues.

    En effet, le fait que l'entité notée soit le client final des agences, qui en plus se trouvent dans un marché oligopolistique à forte concurrence, entrainerait les agences à donner aux émetteurs la meilleure note possible afin d'attirer et de fidéliser les clients. Une agence de notation en situation de monopole serait dans ce cas plus efficace pour les investisseurs qu'une situation de duopole ou oligopole.

    Ce phénomène s'est accentué avec la notation des produits structurés pendant la crise des subprumes. En effet, les agences ont du mal à comprendre certains produits tant ils sont complexes, et elles ont des difficultés à établir des diagnostics corrects. Cette inefficacité vient entre autre du fait que les agences ont sous estimé (sans doute involontairement) la possibilité de contagion. Le différentiel de note d'une agence à l'autre était encore plus important que pour la notation d'entreprise ou d'Etat. Les émetteurs de ces produits ont ainsi pu pratiquer un véritable "rating shopping ", c'est-à-dire choisir de faire noter leurs produits structurés par l'agence qui s'engageait à attribuer la note la plus élevée.

    Ce problème de fiabilité des notes est d'autant plus grave que les agences de notation ont un fort pouvoir sur la psychologie des investisseurs. Ce pouvoir leur a été confié par les émetteurs, mais également par les régulateurs. En effet, depuis les années 30, les autorités de régulations financières ont stipulé que la valorisation des titres dépendait du rating, et ont développé des réglementations dans lesquelles le rating est obligatoire et nécessaire à la prise de décision.

    La notation a un effet direct sur les cours des obligations et également des actions. . Quand une note est augmentée ou dégradée les cours boursiers augmentent ou diminuent dans le cas d'une notation d'entreprise. Si la note d'un état diminue alors le taux d'emprunt de l'Etat augment car il est jugé plus risqué. La modification des notes des titres entraînent aussi une modification du taux d'intérêt. En effet, un titre mieux noté sera jugé moins risqué et donc l'écart entre son taux et le taux des bons du Trésor diminuera.

    Enfin, les agences de notation ont été vigoureusement critiquées pour leur tendance à surréagir une fois les crises confirmées. Leur abaissements de notation, décidés au milieu de chaque récession économique, ont contribué à aggraver les crises. Après la faillite de Lehman Brothers en 2007, les trois agences ont eu recours à 22 000 downgrade et aucun upgrade pour des produits structurés.


    Pendant des décennies, les autorités chargées de superviser les marchés financiers aussi bien que les investisseurs eux-mêmes ont laissé la mesure du risque de crédit dépendre uniquement des agences de notation. Les régulateurs sont même allés jusqu'à créer des réglementations qui obligeaient les émetteurs à faire appel aux ratings. Les instances de supervision financière devraient à l'avenir prendre des mesures pour réduire l'influence des ratings sur les marchés des capitaux, et limiter les risques liés aux conflits d'intérêts des agences.

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