Depuis son instauration en 2006, le bouclier fiscal ne cesse de poser des interrogations. Des simples questions sur son fonctionnement et la manière de bien l'utiliser, pour ceux qui sont assujettis, et des polémiques sur son équité et sur son efficacité, pour ceux qui ne sont pas concernés. Par conséquent, un certain nombre de français, y compris des députés UMP, demandent sa suppression.

      Comment fonctionne le bouclier fiscal ?

      16 350 Français ont été concernés en 2009 par le bouclier fiscal. Il s'agirait dans la plupart des cas des contribuables disposant de faibles revenus mais détenant un patrimoine important. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, le bouclier fiscal n'est pas une mesure de réduction d'ISF, mais de réduction d'impôt global. Ce dispositif profite bien entendu aussi aux foyers ayant des revenus élevés (donc payant beaucoup d'impôts), souvent assujettis à l'ISF. Mais le bouclier a été mis en place pour favoriser les contribuables disposant de faibles ressources avec un patrimoine non productif de revenus et dont la charge fiscale est difficilement supportable. Il s'agit par exemple d'agriculteurs ou de petits commerçants dont le terrain ou le patrimoine immobilier aurait pris de la valeur et se verrait donc imposés d'une forte taxe foncière. Ainsi, une personne ne payant pas d'ISF peut très bien être concernée par le plafonnement de l'imposition.

      La règle du bouclier fiscal permet à un contribuable payant une année un montant d'impôt supérieur à la moitié de ses revenus annuels de demander l'année suivante un remboursement au Fisc. Pour déterminer si on est concerné par ce remboursement en 2010, il faut d'abord calculer les impôts payés en 2009 :
      ?
      ???L'impôt sur le revenu résultant du barème progressif.
      ???L'impôt à taux proportionnel (plus-values).
      ???Les prélèvements forfaitaires libératoires.
      ???La taxe forfaitaire sur les objets et métaux précieux.
      ???L'impôt sur la fortune (pris au montant plafonné).
      ???La taxe d'habitation et la taxe foncière de la résidence principale.
      ???les contributions et prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine, d'activité et de remplacement ou sur les produits de placements

      Il faut ensuite diviser ce montant par les revenus perçus en 2008 :

      ???Les revenus nets catégoriels soumis à l'impôt sur le revenu. Il s'agit en principe du revenu brut global qui apparaît sur l'avis d'imposition.
      ???Les revenus du patrimoine sont retenus pour leur montant net avant abattement. Par exception, pour le micro foncier, il est tenu compte de l'abattement (comme pour le micro BIC).
      ???Les revenus ou plus-values soumis à un taux forfaitaire (prélèvement forfaitaire libératoire, l'impôt sur les plus-values, taxe forfaitaire sur les objets et métaux précieux)
      ???Les revenus exonérés d'impôts, tel que les produits des plans et comptes épargne logement, des plans d'épargne populaire, livrets jeunes, LDD, bons et contrat de capitalisation et placements de même nature (assurance vie) autres que ceux en unités de compte, les plus-values nettes professionnelles exonérées, le gain net réalisé ou la rente viagère versée lors d'un retrait ou de la clôture d'un PEA ou d'un contrat d'assurance vie multi supports.
      ???Certains revenus ne doivent pas être pris en compte : Ce sont les revenus en nature des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance, les prestations à caractère social (RMI, bourses d'études,...) ou familial (allocations familiales, APA, allocation de salaire unique...), les aides au logement, les plus-values immobilières exonérées d'IR, les plus values sur cessions de valeurs mobilières, droits sociaux et titres assimilés lorsque le montant des cessions n'excède pas le seuil de cession de 25 830?.
      ???Enfin, certaines charges viennent diminuer les revenus à déclarer : Ce sont les cotisations ou primes versées sur un PERP ou un régime assimilé (PREFON, COREM, CRH,...) et certaines pensions alimentaires (voir les articles 205 à 211 du code civil).

      Si le résultat de cette division est supérieur à 50%, vous avez le droit au remboursement.

      Si le contribuable bénéficie du bouclier fiscal, il doit déposer entre le 1er janvier et le 31 décembre 2010 une demande de plafonnement des impositions excédant le seuil de 50%. Il peut télécharger le formulaire 2041 DRID sur le site http://www2.impots.gouv.fr/bf/bf-accueil.htm, ou le demander à votre centre des impôts. Il doit joindre au formulaire un relevé d'identité bancaire et envoyer le tout à son centre des impôts.


      Comment manier ce bouclier ?

      En règle générale, le particulier devra, avant tout investissement visant à réduire son impôt, vérifier qu'il ne bénéficie pas déjà cette réduction au titre du bouclier fiscal. En effet, un particulier payant des impôts supérieurs à la moitié de ses revenus tirera un bénéfice moindre (voire nul) d'un placement de défiscalisation, car il obtiendrait une réduction d'impôt qu'il aurait déjà obtenue (partiellement ou totalement) grâce au bouclier fiscal.

      Prenons un exemple chiffré : Jean a perçu au cours de l'année 2009 un revenu de 100.000? et est redevable en 2010 d'un impôt de 60.500 ? (dont 21.000? d'ISF).
      Pour réduire son imposition, Jean place 30.000? dans un FIP anti-ISF, ce qui lui permet de réduire son imposition de 10.500?. Il va donc payer 50.000? d'impôts en 2010. Mais la réduction est inutile car grâce au bouclier fiscal, son imposition ne pouvait de toute façon pas dépasser 50 000 euros (50% x 100.000 = 50.000). S'il n'avait pas investi dans un FIP, Jean aurait payé 60.500? en 2010, mais le fisc lui aurait remboursé 10.500? en 2011. Dans les deux cas, Jean paye le même impôt mais dans le premier cas, il a du investir dans un FIP, avec les contraintes (risques, argent bloqué pendant 8 ans) que cela implique. L'investissement de 30 000 euros dans le FIP est donc inutile. Si Jean avait fait un investissement plus important, il aurait pu bénéficier d'une réduction mais relativement faible par rapport au montant investi. Les dispositifs de défiscalisation sont donc moins attractifs pour les assujettis au bouclier.

      Ainsi, plutôt que de partir à la chasse aux placements défiscalisant, le contribuable bénéficiant du bouclier fiscal doit privilégier les revenus exclus du bouclier. En effet, moins il déclare de revenus, plus sa part d'impôt relative aux revenus sera importante, et plus il profitera du bouclier fiscal.

      Le bouclier doit donc inciter les investisseurs risquophobes à choisir plutôt qu'un contrat d'assurance vie monosupport, un multisupport dans lequel ils seraient largement investis sur le fonds euros. En effet, les revenus d'un contrat monosupport sont à prendre en compte chaque année pour le calcul du bouclier fiscal. En revanche, sur un contrat multisupports, les revenus ne sont pris en compte que lors d'un rachat, et même si la totalité des fonds est investie sur le fonds euros. Avant 2010, l'administration fiscale pouvait requalifier en monosupport un contrat multisupports dans lequel l'épargne était exclusivement ou quasi exclusivement investie dans le fonds en euros pendant la majeure partie de l'année. Mais depuis janvier 2010, le Conseil d'Etat est revenu sur cette décision. Tant que le souscripteur peut procéder à des arbitrages au sein de son contrat, les fonds euros ne sont pas considérés comme définitivement acquis. Les intérêts ne rentrent donc dans le calcul du bouclier qu'en cas de rachat.

      L'application du bouclier fiscal change également la donne pour le particulier qui doit choisir entre le prélèvement libératoire forfaitaire et l'impôt sur le revenu pour les dividendes. Un particulier imposé à une tranche élevée sera plutôt tenté par l'option du PFL (18% + 12,1% de prélèvements sociaux). S'il bénéficie du bouclier fiscal, ce particulier pourrait pourtant opter pour l'imposition au barème progressif. En effet, les dividendes qui sont soumis à l'impôt sur le revenu, sont retenus après l'abattement de 40% et après déduction des droits de garde déductibles, alors qu'il n'y a pas d'abattement pour les dividendes soumis au prélèvement forfaitaire. En choisissant l'imposition au barème progressif, le particulier diminue ainsi son revenu à déclarer et donc le montant maximum d'impôt qu'il peut payer.
      Mais cette conséquence de la mise en place du bouclier fiscal va s'atténuer à partir de cette année et totalement disparaître en 2010. En effet, le projet de loi de Finances pour 2010 a prévu que les dividendes soumis à l'IR désormais seront pris en compte avant déduction des abattements pour le calcul du bouclier fiscal. La loi prévoit une entrée en vigueur dégressive de cette mesure : les dividendes seront retenus pour une fraction de leur montant fixée à 70% pour les revenus perçus en 2009, à 80% pour ceux de 2010 et 90% pour ceux de 2011.


      Faut il supprimer le bouclier fiscal ?


      Depuis sa création, le bouclier fiscal, qui permet aux contribuables de ne pas être taxés à plus de 50% de leurs revenus, suscite la polémique.

      La gauche dénonce une mesure qui favorise les plus riches. En 2008, l'Etat a remboursé à 15 500 foyers au titre du bouclier fiscal une somme total de 563 millions d'euros, soit prêt de 33 000 euros par foyer. Mais parmi eux, 756 ont reçu en moyenne un chèque de 380 000 euros.

      Ces chiffres sont cependant à prendre avec des pincettes. Le rapport du député UMP Gilles Carrez sur l'application de la loi Tepa arrêtés au 31 mai 2009 dénombrait 18800 bénéficiaires pour 578 million d'euros, alors qu'en mars 2009, Didider Migaud, à l'époque président de la commission des finances de l'Assemblée, avait évoqué dans un entretien au Monde 13 998 bénéficiaires en 2008.

      Année de crise, 2009 a renforcé la polémique. En effet, alors que le chômage explose, que la précarité touche une part croissante de la population, et que les conditions de travail et le pouvoir d'achat se dégradent, le remboursement par l'Etat de sommes parfois très élevées à une poignée de riches apparaît difficile à justifier. Il semble d'autant plus abusif que la situation des finances publiques est entrée dans une phase critique. Face à ces difficultés, l'Etat n'aurait pas d'autres choix que d'augmenter les impôts. Pourtant, l'Etat a du rembourser 585 millions d'euros en 2009 à 16350 foyers fiscaux. Ceux là ne seront pas concernés par les hausses d'impôt à venir puisque leur imposition est plafonnée. Du coup, les autres contribuables ont l'impression de financer les plus riches plutôt que l'Etat. En effet, les 1000 bénéficiaires les plus importants ont reçu à eux seuls 376 millions d'euros. Ce qui revient à dire que 6% du total des foyers fiscaux qui ont fait jouer le bouclier ont reçu à eux seuls 64% des sommes reversées par le fisc. Pour les autres, le chèque signé par Bercy dépasse rarement les 3 chiffres.

      Par conséquent, de nombreux députés voulaient réduire voire supprimer le bouclier fiscal dans le projet de loi de finances pour 2010. Cette suppression réduirait les dépenses de l'Etat et limiterait le sentiment d'injustice. Le principe du bouclier fiscal est décrié par la gauche mais aussi remis en cause, en particulier depuis la défaite de la droite aux élections régionales, par plusieurs personnalités de la majorité, parmi lesquelles Alain Juppé. Jeudi, le ministre de la défense, Hervé Morin, a estimé que le bouclier fiscal "mérite un débat approfondi". Mais le président de la République, Nicolas Sarkozy, a indiqué aux députés UMP qu'il ne reviendrait pas sur cette mesure.

      Pour justifier ce maintien, Bercy met en avant l'argument selon lequel le bouclier fiscal aurait réduit le nombre d'expatriations fiscales. " On peut désormais rester en France avec des prélèvements supportables ", expliquait la ministre de l'économie, Christine Lagarde, chiffres à l'appui. Pour la première fois depuis des années, le nombre de redevables à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) quittant la France a baissé en 2007 : 719 personnes se sont exilées, contre 843 en 2006. La baisse n'a duré qu'une année vu qu'en 2008 on comptait 821 exilés fiscaux. Cependant le nombre de retours en France a augmenté de 27% passant de 246 en 2007 à 312 en 2008.

      L'autre argument de Bercy est que le bouclier fiscal profiterait avant tout aux ménages modestes : Les deux tiers des bénéficiaires du bouclier gagneraient à peine un peu plus de 1 000 euros par mois.

      Quant aux 1000 personnes qui ont reçu 370 millions d'euros en 2009, ils avaient payés le double en impôt en 2008. La suppression du bouclier pourrait les pousser à quitter la France ce qui entrainerait une perte pour l'Etat.

      Si le Président de la République ne veut pas supprimer l'une des principales mesures de son quinquennat, et éviter de voir les riches quittaient le pays avec leurs capitaux, des alternatives ont alors été évoquées comme le plafonnement ou la suppression des niches fiscales, une nouvelle tranche d'imposition pour les revenus les plus hauts, Les discussions ont alors dévié spécifiquement sur un moyen de financer les retraites et l'enjeu du bouclier fiscal dans ce domaine. La réduction des dépenses étatiques est aussi une solution suggérée.


      Lorsque l'Etat a instauré en 2006 le bouclier fiscal, l'objectif de cette mesure était officiellement d'aider les ménages disposant de faibles ressources avec un patrimoine non productif de revenus et dont la charge fiscale est difficilement supportable. Mais c'est surtout un dispositif qui doit permettre d'éviter l'exil fiscal des français les plus riches. Dans le contexte de déficit public de plus en plus important, donner plusieurs centaines de millions d'euros aux ménages les plus riches est une dépense inconsidérée. Cependant, la suppression du bouclier pourrait entrainer un départ des plus riches et donc une perte d'impôt collecté. L'Etat est donc face à un dilemme : Comment augmenter les impôts sans pénaliser les plus pauvres et sans faire fuir les plus riches ?


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    Rédaction meilleurtaux Placement