Le réveil fut difficile le 24 juin. Les pertes, importantes, se sont élevées jusqu'à 12% à Madrid, menacée d'une poussée populiste aux élections deux jours plus tard, qui ne s'est pas avérée. Après deux journées de désarroi, les places ont tenté un rebond, hésitant d'abord, un peu plus affirmé ensuite. Paradoxalement, la bourse de Londres affiche le rebond le plus sensible, mais elle n'avait que peu progressé avant le vote et elle se trouve soutenue par une devise en fort repli (près de 10% contre €) ; une fois transcrite en euros, sa prestation ne ressort pas moins mauvaise que celle des autres places, en recul de quelques pourcents. On peut se livrer à un premier bilan sectoriel : au Royaume-Uni d'abord, le secteur financier, banques et assurances, reste sous une forte pression ; la chute généralisée des cours rappelle en creux le rôle clé joué par la City et l'inconnue que fait peser le changement de périmètre résultant de la séparation. Par contagion dans toute l'Europe, le secteur a été pris d'un malaise qui ressuscite les préventions à son égard enfouies ces derniers mois ; les banques italiennes notamment, suspectes d'une fragilisation extrême du fait du poids des créances douteuses, sont en pleine tourmente et coulent la bourse de Milan, en recul de plus de 20% depuis le début de l'année. A Londres toujours, on remarque l'effondrement des foncières et immobilières, avec plusieurs fermetures de fonds menacés par une vague de sorties de capitaux, et le déséquilibre soudain du marché physique de l'immobilier de luxe. Le message est limpide : le Brexit touche au coeur la ruche financière du pays, qui, ce n'est pas un hasard, y était fortement opposée. A contrario, les valeurs relevant de l'activité domestique courante n'ont pas souffert, et nombre d'entre elles ont monté, de même que les exportatrices dopées par une livre de combat.
Quatre semaines plus tard, on constate que le Brexit, en plus du choc causé par l'évènement lui-même, apporte une foule d'interrogations qui ne trouvent pas de réponse immédiate : organisation politique, processus de séparation, accords commerciaux futurs, transfert de compétences financières, etc., et cette incertitude protéiforme entretient une grande fébrilité. Comment sort-on de l'UE ? Quelles vont être les conséquences pour cette dernière ? Au-delà du débat politique, hors sujet dans cette chronique mais qui est lui-même un élément d'instabilité, ce cas nouveau amène de nombreux risques pour l'Europe elle-même, tandis qu'au Royaume-Uni, épicentre du séisme, aucune personnalité politique ne paraît pressée de le traiter si l'on en croit les renonciations en chaîne devant une responsabilité historique et le peu d'empressement de Mme May, appelée à mettre en oeuvre ce qu'elle désapprouve. La procédure promet d'être si longue et complexe que certains connaisseurs des structures européennes, alliés objectifs de nombre de financiers anglo-saxons mus sans doute par leur intérêt bien compris, pronostiquent que la sortie effective ne se fera pas... Seul fait certain, le sujet ne sera pas épuisé rapidement et pourrait hanter durablement les marchés.
On observe sur ceux-ci une autre conséquence du vote : pendant que les actions sont à la peine, les obligations exultent avec la ruée des investisseurs fuyant le risque. Une fois de plus, ces derniers trouvent refuge sur des titres souverains dont beaucoup non seulement ne les rémunèrent plus mais leur coûtent. Dubitatifs envers une croissance qu'ils jugent menacée et convaincus d'un prochain assouplissement supplémentaire de la BCE et de la Banque du Japon, dans l'attente de celui d'ores et déjà annoncé par la Banque d'Angleterre, de plus en plus confiants dans le report du resserrement par la Fed en décembre au moins, les opérateurs cherchent avant tout à sécuriser leurs avoirs au détriment de toute rentabilité future ; ainsi assiste t-on à un florilège de records de baisse des taux, avec en point d'orgue un rendement négatif sur 50 ans (!) de l'emprunt confédéral helvétique. L'emprunt français à 10 ans s'approche lui-même d'un rendement négatif, et de façon paradoxale alors que le Brexit a entraîné une dégradation immédiate de la notation du Royaume-Uni, les gilts (emprunts d'Etat) britanniques se sont envolés, tombant à 0.8% de rendement pour le 10 ans. Par sympathie, l'ensemble des classes obligataires a été recherché. Cette euphorie obligataire peu rationnelle -seule l'attente d'un repli encore plus prononcé des prix et des revenus peut justifier d'investir à taux négatif- devient dangereuse, mais elle peut se prolonger car elle est le produit direct et assumé de l'action des banques centrales. Aux yeux de marchés qui ne conçoivent plus de s'en passer, elle demeure indispensable, et les autorités monétaires, tétanisées à la perspective d'une chute des marchés, n'osent pas l'interrompre. Mais comment sort-on d'une telle politique dont les inconvénients, après l'étape initiale et bienvenue d'un crédit plus aisé, apparaissent de plus en plus clairement ? En effet, elle fausse l'allocation des ressources, appauvrit l'épargne tout en conduisant à son excès, constitue des trappes à liquidités sans contribuer, faute de projets et de confiance, à une reprise de l'investissement : l'argent ne circule pas et s'accumule, sans emploi, sur les comptes courants. Conçue pour gagner du temps en faveur de réformes structurelles, cette politique est détournée par certains gouvernements pour reporter ces dernières puisque s'endetter ne coûte provisoirement rien. Enfin, elle est en partie responsable de bulles, obligataires indéniablement, immobilières souvent, et met en difficulté le secteur bancaire en écrasant ses marges. Son action contre-productive est de plus en plus décriée, qui fait peser sur l'avenir de profondes interrogations.
Les conséquences en sont moroses pour l'épargnant. L'instabilité financière notoire, une croissance peu dynamique, auxquelles il faut ajouter une fièvre géopolitique récurrente, sont handicapantes pour des marchés actions qui, en Europe du moins, ne parviennent pas à reprendre de la hauteur : la surinterprétation de mauvaises nouvelles tire régulièrement les cours vers le bas, ruinant les tentatives d'aligner les valorisations sur des perspectives bénéficiaires qui restent correctes. Aux Etats-Unis en revanche, la cherté du marché en regard de bénéfices qui s'effritent lentement laisse planer le risque d'une consolidation plus ou moins appuyée sur fond de remontée rampante de l'inflation. De nombreux placements obligataires, souvent autour des plus hauts, n'apportent qu'une satisfaction en trompe-l'oeil car basée uniquement sur la plus-value alors que le rendement a disparu ; le recours aux titres à haut rendement (high yield) devient risqué alors que les taux ont beaucoup baissé et que la modération conjoncturelle annonce une montée des défaillances.
La période qui s'ouvre est délicate ; elle ne trouvera vraisemblablement de terme qu'avec un arrêt de la révision à la baisse de la croissance mondiale, et sous réserve que les banques centrales sachent piloter une remontée lente et ordonnée des taux d'intérêt de marché. Pour la passer, on préconisera une exposition limitée aux bourses occidentales, une réserve significative en cash -ou en fonds en euros dans les contrats d'assurance vie-, le recours à des gestions flexibles ou alternatives dont plusieurs démontrent cette année leur pertinence, une position non symbolique en or ou valeurs aurifères à titre d'assurance et parce que le rattrapage en cours n'apparaît pas achevé. Une exposition au dollar, ou aux devises qui lui sont liées, sera recherchée. La part la plus dynamique des portefeuilles laissera une place aux pays émergents : le report assez lointain d'une remontée des taux américains apporte une perspecttive d'appréciation à nombre de ces marchés, qui sont en retard en matière de valorisation pour les actions et fournissent encore des rémunérations substantielles pour les obligations, tandis que les devises dépréciées ces dernières années présentent un potentiel de rebond.
Les analyses et commentaires figurant dans cette lettre reflètent le sentiment et l'opinion de Christian CHARDIN, économiste de mes-placements.fr, sur l'économie, les marchés et leurs évolutions possibles, compte tenu de son expertise, des analyses économiques et des informations possédées à ce jour. Ils ne sauraient toutefois constituer un quelconque engagement ou garantie de son auteur ou de mes-placements.fr/Finance Sélection. Les investisseurs demeurent entièrement maîtres et responsables de leurs choix d'investissement et de l'adéquation de ceux-ci avec leur situation patrimoniale et personnelle. Ils reconnaissent assumer et supporter l'intégralité des risques financiers liés à leurs investissements. L'investissement en SICAV/FCP/SCPI/EMTN... ne comporte aucune garantie, ni de rémunération ni de capital.