Saluant la clarification opérée par le premier tour de la présidentielle française, les bourses européennes viennent de rebondir violemment. Ce faisant, elles n'expriment pas tant une préférence partisane que le vraisemblable écartement du risque d'une déconstruction européenne, qui entraînerait un bouleversement monétaire et sans doute politique. Il y a donc alignement rapide des espérances macro-économiques sur une réalité conjoncturelle un peu plus favorable depuis quelque temps. Si l'embellie générale est tangible, sans être forte, elle demeure sous la menace d'un rééquibrage monétaire périlleux et d'une situation géopolitique que l'on peut juger assez instable. La perspective des investisseurs n'est jamais vraiment dégagée !
Achevé de rédiger le 28/04/2017
L'envol des bourses européennes le 24 avril a traduit une forme de soulagement de la communauté financière, qui voyait dans l'élection française un risque important de rupture avec les équilibres actuels : renégociation dure des traités européens, éventuelle sortie de la France de la zone euro, voire « Frexit » aux conséquences mortifères pour l'Union européenne. Le monde anglo-saxon, et pas seulement la finance, bien que très critique depuis le début envers l'euro et la communauté européenne en général (cf. certaines déclarations récentes de M. Trump), adoube avec pragmatisme une construction imparfaite plutôt qu'un saut dans l'inconnu. Cette chronique n'étant pas une tribune politique, on n'ira pas plus loin dans le commentaire électoral, sinon pour rappeler que, a) le second tour de l'élection n'est pas une formalité, et b) une victoire annoncée de M. Macron laisse à ce jour entière la question de savoir s'il obtiendra une majorité pour appliquer son programme. Cette incertitude et les conjectures qui vont l'accompagner ouvrent la possibilité d'un retour de la volatilité dans la période entre les deux élections, et non uniquement sur le marché français.
Une des confirmations de l'euphorie boursière du 24 avril, profonde comme l'indiquent les deux séances qui l'ont suivie, est qu'il existe de longue date une prime de risque politique sur les actions européennes, qui en empêche structurellement la pleine valorisation. Certes, des rachats de positions courtes prises à contre-pied ont sans doute amplifié le sursaut. Mais on voit que lorsque l'horizon se dégage, comme les vicissitudes de la crise grecque l'ont à plusieurs reprises démontré, les marchés, taux et actions, reprennent des couleurs, tandis que l'Allemagne jugée peu menacée par des gestions de rupture ressort comme un refuge à chaque crise interne au vieux continent. Ainsi la France avait pris, ces trois derniers mois, un léger retard sur les marchés voisins : l'écart OAT-Bund s'était ouvert d'une trentaine de points de base, et le CAC rendait environ 2%. Pas de panique ni de fuite des capitaux, mais un certain attentisme. Ces glissements se sont comblés en trois séances, preuve a contrario de la rétention des initiatives par le fait politique. Si ne se profilaient pas à l'horizon d'un an des législatives italiennes à risque, les marchés européens disposeraient d'une ouverture exceptionnellement dégagée (le scrutin allemand de septembre étant jugé non menaçant).
En effet, les statistiques économiques de la zone euro valident mois après mois le redressement annoncé par les indicateurs, dont certains retrouvent des niveaux ignorés depuis dix ans, voire davantage. La confiance des ménages, des entreprises et des directeurs d'achat se conjugue pour pousser la croissance à des rythmes certes modestes en regard des tendances passées, mais au-delà d'un potentiel obéré par une démographie lymphatique. Même les reprises italienne et française, un peu laborieuses, sont corroborées par la hausse des carnets de commandes. L'activité est soutenue en Europe du Nord et en Scandinavie, au point que les offres d'emploi n'y sont plus qu'imparfaitement satisfaites. La conséquence en est un frémissement des prix, qui dégèle les chiffres d'affaires et laisse entrevoir, pour la première fois depuis plusieurs années, des hausses de bénéfices, sans encore générer de besoin de resserrement monétaire. La configuration est donc favorable pour une poursuite du rattrapage des actions européennes, dont les spécialistes estiment qu'elles présentent encore une sous-valorisation proche de 10% par rapport aux américaines. Mais cette constatation n'est pas normative d'un comblement de l'écart...
En effet, les déceptions commencent à se faire jour outre-Atlantique. Les indicateurs tendent à plafonner, et le PIB n'a progressé que de 0.7% l'an au 1er trimestre 2017. En fait, le plein emploi est atteint, l'économie ne semble plus avoir beaucoup de réserve de progression à cadre législatif inchangé, ce qui est logique au moment où elle boucle huit exercices d'expansion ininterrompue. Le programme de Donald Trump prévoit de prolonger ce dynamisme par une relance des travaux fédéraux d'infrastructure et une baisse massive des impôts pour les entreprises et les ménages. Mais, outre les interrogations qu'il fait naître sur son financement et les tensions inflationnistes afférentes, le déroulement des discussions avec le Parlement jette un doute croissant sur sa faisabilité réelle. Déjà, la révision de l'« Obamacare » censée produire des économies n'a pu être mise en oeuvre. Les dépenses d'infrastructure ne peuvent avoir d'effet immédiat et, pour nécessaires qu'elles soient, ne seront pas directement productives. La réforme de l'impôt sur les sociétés et surtout les allègements fiscaux pour les particuliers aisés rencontrent une forte opposition démocrate mais aussi républicaine. La stimulation économique ne se fera ni dans le calendrier ni avec l'ampleur annoncés. Les investisseurs, qui avaient plébiscité les mesures de relance du programme, se montrent plus prudents. Sur fond de plafonnement des marges et de hausses de taux programmées, la bourse ressort chère et éprouve des difficultés à dépasser ses records récents, avant, probablement le besoin d'une consolidation qui resterait difficilement sans conséquence sur le niveau des autres places.
Il n'empêche que la locomotive américaine sera une fois de plus parvenue à entraîner l'économie mondiale. Par une ironie du sort, le commerce international a repris sa marche en avant au moment même où son contempteur accédait à la Maison Blanche. La plupart des menaces d'instaurations de taxes à l'import, de fermetures de frontières ou de renégociations des accords commerciaux sont restées pour l'instant lettres mortes, et la vraisemblance grandit chaque jour qu'elles ne soient pas mises en oeuvre ou, en tout cas, qu'elles soient sensiblement édulcorées.
L'activité dans les pays émergents profite d'une embellie encore assez modeste, mais suffisante pour pousser le FMI à relever leurs prévisions de croissance et d'échanges internationaux. Si ce redressement perdure, sans perturbation par une remontée des taux U.S. attendue progressive et modérée, les bourses comme les devises de beaucoup de pays émergents, encore modestement évaluées, peuvent apparaître comme une opportunité après plusieurs années de sous-performance. Le maintien de la croissance à un rythme élevé en Inde et en Chine, le début de rebond en Russie et au Brésil ramènent l'optimisme sur l'ensemble du concept « émergent ». La réappréciation boursière semble entamée depuis la fin de l'an passé.
Nonobstant l'incertitude américaine, et le brouillard se levant sur la gouvernance en Europe, les marchés bénéficient d'un environnement favorable du point de vue économique -l'activité s'accélère- et monétaire -la remontée des taux débute à peine. La voie est plutôt dégagée pour une trajectoire boursière ascendante. Le risque, comme nous l'avons déjà souligné, se situe davantage aujourd'hui dans le domaine géopolitique. Conflits au Moyen-Orient, bruits de bottes en Corée, tensions en mer de Chine ou en Europe orientale, insurrection vénézuélienne, sans oublier les incertitudes résiduelles des élections française, italienne...et britannique (le Brexit aura-t-il bien lieu, et selon quel mode ?), voilà un lot d'incertitudes dont devra se méfier l'investisseur enclin à entériner les scenarii trop bien écrits.
Christian
Les analyses et commentaires figurant dans cette lettre reflètent le sentiment et l'opinion de Christian CHARDIN, économiste de mes-placements.fr, sur l'économie, les marchés et leurs évolutions possibles, compte tenu de son expertise, des analyses économiques et des informations possédées à ce jour. Ils ne sauraient toutefois constituer un quelconque engagement ou garantie de son auteur ou de mes-placements.fr/Finance Sélection. Les investisseurs demeurent entièrement maîtres et responsables de leurs choix d'investissement et de l'adéquation de ceux-ci avec leur situation patrimoniale et personnelle. Ils reconnaissent assumer et supporter l'intégralité des risques financiers liés à leurs investissements. L'investissement en SICAV/FCP/SCPI/EMTN... ne comporte aucune garantie, ni de rémunération ni de capital.