Ce recul n’est pas sans rappeler celui observé en février : la conjoncture économique est satisfaisante, les profits des sociétés augmentent, mais les opérateurs qui négligeaient des signaux plus ou moins préoccupants les perçoivent soudain comme des menaces imminentes. La conjoncture économique et financière a surtout été marquée depuis un an par un fort déséquilibre entre une Amérique en plein boom, avec Wall Street à l’unisson, et le reste du monde au dynamisme émoussé. Les Etats-Unis vont ralentir sous le triple effet du plein emploi, de la hausse des taux d’intérêt, et du freinage commercial qu’ils organisent. Une relative resynchronisation des politiques économiques devrait en résulter, en dépit d’un contexte géopolitique un peu agité. Les marchés financiers en prendront acte, sous la forme d’une révision de leurs préférences sectorielles.
La prééminence américaine
La prééminence américaine aura été spectaculaire en 2018. Sous l’angle économique d’abord, avec une expansion nettement supérieure à celle des autres pays développés ; du point de vue financier, avec la litanie de records à la bourse ; sous l’aspect politique, avec un activisme débordant. L’administration Trump remodèle à sa guise l’ordre commercial, régente le marché du pétrole, impose ses règles juridiques à la planète, refonde l’ordre mondial établi en 1945.
Cette domination s’est assise sur la relance de l’économie par l’amnistie fiscale et la chute du taux d’imposition, qui a re-dynamisé la demande interne et apporté aux entreprises un enrichissement reflété dans les cours boursiers. L’attraction rétablie de l’Amérique a aspiré les capitaux et poussé le dollar à la hausse. Par contraste, les performances du reste du monde sont apparues sans relief, et les pays aux comptes fragiles ont clairement souffert de l’inversion des flux de capitaux.
Le tonus de l’économie américaine n’est pas menacé à court terme. Peu exportatrice en regard de son PIB, celle-ci tire avantage, dans un premier temps, de la révision autoritaire des échanges commerciaux. Sa perspective est tout de même à la normalisation. Le stimulus de 2017 appliqué à une économie croissante depuis déjà plus de sept ans débouche sur les inconvénients classiques. Le plein emploi amène ça et là une pénurie de main d’œuvre, qui se traduit par une tension sur les salaires ; la vive demande intérieure sollicite l’importation, aggravant le déficit commercial à la fureur de M. Trump. La gigantesque impasse budgétaire, aux alentours de USD 1000 milliards (près de 40% du PIB français !), impose de séduire les prêteurs internationaux. Aussi la Fed est-elle résolument engagée dans une phase de remontée du loyer de l’argent, qui va freiner l’activité afin d’éviter l’inflation. Les récentes remarques peu diplomatiques du président américain à l’encontre de la politique de la Fed n’amèneront pas celle-ci à la modifier, et sont sans doute en partie à l’origine du coup de torchon sur les marchés, ceux-ci ayant en horreur l’intrusion de l’exécutif dans la politique monétaire ; M. Erdogan, pas plus tard que l’été dernier, l’avait déjà appris à ses dépens.
Et le reste du monde
Alors que les USA tournaient à plein régime, le reste du monde, victime plus ou moins immédiate et plus ou moins affectée des dénonciations commerciales américaines, a plutôt eu tendance à ralentir. L’Europe revient doucement vers sa croissance potentielle limitée, qu’elle dépasse néanmoins encore ; le Japon va mieux, mais reste dans des basses eaux ; la Chine, visée au premier chef par M. Trump, tente de maintenir un taux de croissance qui s’effrite, mais nombre de pays émergents, endettés dans un dollar qui monte, subissent en plus la hausse du coût de l’énergie et voient leur croissance s’étioler.
En conséquence, le comportement boursier a été généralement terne, à l’image de l’activité. Les bourses européennes ont oscillé depuis le printemps 2017 sans grande tendance, si ce n’est légèrement déclinante, et la bonne tenue par défaut de leurs marchés obligataires aux rendements ridicules n’est pas rassurante, traduisant un manque de confiance en l’avenir. Le Japon, un temps bien orienté, rentre dans le rang. Quant aux places émergentes, la plupart ont subi une baisse substantielle, tournant même dans quelques cas à la débâcle ces dernières semaines, et s’accompagnant d’une pression sur les devises.
Il est riche d’enseignement de ne pas s’arrêter à la seule observation des indices et d’inspecter l’envers du décor. On y constate que la bonne tenue boursière a été le fait d’un nombre ténu de valeurs, masquant une large désaffection envers la plupart. C’est particulièrement éclairant dans le cas américain. On sait les hausses astronomiques des valeurs technologiques -le Nasdaq avait presque doublé en deux ans et demi avant sa chute ces dernières séances-, portées par les mastodontes boursiers Apple, Alphabet (Google) ou Amazon, cette dernière apparaissant survalorisée avec un PER instantané supérieur à 100. On sait moins la descente aux enfers de General Electric, ex-star boursière éjectée du Dow Jones, en recul de plus de moitié en trois ans, ou la déconfiture de l’empire Sears, jadis leader de la distribution mondiale fraîchement placé en procédure de faillite.
Cette concentration se constate sur la plupart des places. A Paris, le secteur du luxe fortement représenté dans le CAC 40 a porté celui-ci de concert avec l’aéronautique et les pétrolières. Les autres secteurs, après quelques feux de paille (financières, automobile), ont baissé dans une proportion plus ou moins prononcée, et les reculs d’un quart ne sont pas rares. De même, les petites valeurs ont pâti de leur liquidité plus faible, mais aussi de leur absence des grands indices dans des marchés où le poids de la gestion indicielle est devenu prépondérant. Le comportement grégaire des investisseurs a fait le reste. La prééminence accrue des valeurs de croissance, signe d’une défiance quant à la soutenabilité du cycle économique, a abouti à une disparité de performance avec les titres cycliques sans équivalent récent.
2019, année d'opportunités ?
Le recul des bourses, dans un contexte géopolitique délicat entre négociations en panne sur le Brexit, inquiétudes sur la gestion italienne et situation problématique dans plusieurs grands pays émergents, fait craindre à certains observateurs les prémisses d’un krach, attisé par les hausses de taux. Ce risque est latent, mais beaucoup d’observateurs affolés par la répétition des accidents depuis 1987 ont une propension systématique à pronostiquer un tel événement, à la survenance rare (tous les 30 à 40 ans) sur une base historique longue. On observera en sens inverse que les cas de courte panique n’ont pas manqué ces dernières années et ont été neutralisés, puis compensés dans un laps de temps assez court.
Il est certain que le potentiel de hausse des places, en Occident du moins, est limité, ne dépassant sans doute pas beaucoup le niveau atteint avant le repli d’octobre. Mais si les indices ne progressent guère, les contre-performances marquées de pans entiers de la cote laissent augurer de rattrapages possibles de nombreux secteurs ou catégories d’actifs, en partant de niveaux aujourd’hui raisonnables, voire décotés. La gestion active pourrait bien prendre sa revanche en 2019, et fournira des opportunités dans un monde où la croissance se poursuit, entraînant celle des bénéfices. Les risques d’un accident dû au poids de la dette accumulée, à une crise des changes dans les émergents ou à la montée des tensions diplomatiques existent, mais ne doivent pas être surestimés. La sortie de la politique de taux zéro est délicate, mais pour l’instant elle n’a pas entravé la bonne tenue des marchés de capitaux américains, bien au contraire. La BCE, qui s’y engage prudemment en 2019, veillera aussi à maintenir des conditions de financement non déstabilisantes.
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